Article : "Recettes de macérâts huileux : intérêt pour la cosmétique"
Lu sur John Libbey Eurotext
Auteur(s) : Fabrice Turon , Michel Bertin
SA, Route de Mareuil, BP 51, 60330 Lagny le Sec Fax : 03 44 60 80 76..
Principes de la macération
Un macérât huileux est un
principe ancien et facile à mettre en œuvre. Il consiste à mélanger des
extraits végétaux dans un corps gras qui, jouant le rôle de solvant naturel,
permet d’extraire par un simple pressage les principes actifs liposolubles. Par
contre, le choix du corps gras de concentration est essentiel. En effet, le
corps gras est sélectionné en fonction de ses propriétés intrinsèques,
c’est-à-dire sa composition en acides gras ou son insaponifiable, qu’il peut
ajouter à celles du végétal traité [1]. Ainsi, une macération au soleil de
millepertuis (Hypericum perforatum) dans de l’huile d’olive permet à cette
dernière de s’enrichir en agents anti-inflammatoires du millepertuis. Le
mélange final, qui combine les bienfaits de l’olive et du millepertuis, est
recommandé dans le traitement topique des brûlures [2, 3]. Toutefois, le fait
que la macération au soleil dure plusieurs semaines tend à altérer la qualité
de l’huile d’olive. C’est pourquoi la durée d’imprégnation de l’extrait végétal
par le corps gras est aujourd’hui considérablement réduite à quelques heures en
chauffant le mélange à l’étuve, en atmosphère inerte pour éviter l’oxydation.
Les macérâts huileux sont
couramment utilisés dans des préparations cosmétiques. En détaillant quelques
recettes, nous nous proposons ici de démontrer leurs intérêts.
Parfumer une huile
D’abord, les macérâts
huileux sont depuis longtemps utilisés pour parfumer des corps gras. En
Haute-Egypte, on mélangeait des fleurs fraîchement cueillies à du suif (ou du
saindoux) bouillant pour solubiliser les essences de parfum. En 1860, les
huiles essentielles sont piégées selon le même principe dans un corps gras,
dénommé « pommade », pour ensuite être extraites par distillation
alcoolique. À titre d’information, ce savoir-faire a fait l’objet d’un brevet
américain déposé en 2002 [4]. En Polynésie, le monoï ou littéralement
« huile parfumée », est issu de fleurs de tiare récoltées au stade de
boutons, qui sont mises en macération dans de l’huile de coco pendant au moins
deux semaines. L’appellation d’origine du monoï n’est accordée que si ces
fleurs sont cueillies sur le territoire polynésien et si les proportions et
délais de macération sont respectés.
Colorer une huile
Les macérâts huileux
permettent encore de colorer naturellement une huile. En considérant du germe
de blé en macération dans de l’huile vierge d’amandes douces, on obtient un
produit qui, outre son enrichissement en tocophérols du germe de blé, va se colorer
de jaune à oranger (( figure 1 )). Un deuxième exemple
consiste à faire macérer du curcumin (Curcuma longa) dans de l’huile de
noisettes ; ce mélange va se colorer en jaune soleil par un transfert des
curcuminoïdes dans l’huile. Dans la ( figure 2 ), l’absorbance de l’huile de
noisettes « curcumisée » est mesurée dans l’UV. Les deux pics
principaux observés à 245 et 430 nm correspondent aux maximum d’absorption du
curcumin. Rappelons que, outre sa couleur, le curcumin est connu pour ses
activités anti-inflammatoire et antioxydante [5-7].
Réguler l’inflammation cutanée
L’inflammation au niveau de
la peau implique certains médiateurs biologiques dont le lien commun est
l’acide arachidonique, présent dans la couche basale au niveau de la jonction
dermo-épidermique. Tant que l’acide arachidonique est lié à un phospholipide, il
est stable. Mais en cas d’altération de la peau (vieillissement, détergent,
UV), il est libéré sous l’action d’une phospholipase A2, en particulier pour
donner naissance à un métabolite pro-inflammatoire, le leucotriène LTB4 [8, 9].
On connaît un monohydroxyacide capable d’inhiber la production de LTB4 :
c’est le 15-hydroxyeicosapentaénoïque (15 HEPE), qui est métabolisé dans
l’épiderme par la 15-lipoxygénase à partir de l’acide eicosapentaénoïque (EPA,
20:5 n-3). Les sources naturelles de l’EPA sont les huiles de poisson et
certaines algues. Deux algues en particulier vont intéresser la suite de notre
propos : ce sont Ascophyllum nodosum, de couleur verte à orangée, qui est
récoltée de décembre à mars, période pendant laquelle les réceptacles se détachent
de l’algue, et dont la teneur en lipides est de l’ordre de 5 %, et Undaria
pinnatifida, algue brune autrement appelée « fougère de mer », dont
la teneur en lipides est inférieure à 3 %. Ces algues présentent une
teneur en EPA respectivement de 20 et 14 mg/g d’extrait lipidique sec. Même si
ces teneurs en EPA sont intéressantes, l’extraction directe de l’huile est
économiquement impossible au regard des trop faibles teneurs en lipides totaux.
En considérant maintenant une huile de noisette obtenue après macération dans
ces algues, on constate dans la ( figure 3 ) qu’elle s’enrichit en EPA de
manière quantitativement plus importante avec Undaria (20 mg/g) comparée à Ascophyllum
(4 mg/g). Dans tous les cas, les huiles obtenues sont colorées et dégagent une
odeur marine marquée.
Enrichir en vitamine E
Un macérât huileux permet
d’enrichir une huile en insaponifiable. La quinoa, Chenopodium quinoa, est une
plante cultivée sur les hauts plateaux Andins. A l’origine, elle était une
nourriture de base des Incas, connue sous son nom Quechua de chisiya mama, qui
peut se traduire par « graine nourricière ». Elle disparut avec la
conquête de l’Amérique du Sud par les Espagnols au XVe siècle et
l’introduction dans la région de leur propre alimentation. Le contenu en
lipides de la graine est de l’ordre de 6 %, mais surtout sa teneur en
vitamine E est remarquablement élevée (54 mg/kg matière sèche) comparativement
au germe de blé (12 mg/kg) [10, 11]. Des études de macération de ces deux
graines ont été réalisées pour comparer le transfert effectif des tocophérols
totaux, en particulier de la vitamine E, dans de l’huile vierge de tournesol.
La ( figure 4 ) illustre une teneur en
vitamine E du macérât plus importante avec le germe de blé (790 ± 100 mg/kg
huile) que la quinoa (650 ± 100 mg/kg). Cette observation suggère que le
transfert des composés liposolubles n’est pas seulement dépendant de leur
concentration dans la matrice végétale. D’autres critères, comme leur
accessibilité ou la polarité de l’huile d’extraction, sont certainement à
prendre en considération.
En conclusion, on retiendra des macérâts
huileux qu’ils permettent d’extraire naturellement le contenu lipidique d’une
graine ou d’une plante jugé trop faible pour une extraction économiquement
rentable, et que l’huile de concentration, écologiquement propre, remplace un
solvant usuel d’extraction comme l’hexane.
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officiel de la Propriété Industrielle 1966 ; 6(n° 3) : 714.
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